Le reporting sur la durabilité ne doit pas masquer la nécessaire réforme des entreprises européennes

Publié le 11 février 2025

Dans sa chronique, le professeur des sciences de gestion Armand Hatchuel interroge les conséquences de la directive européenne CSRD, qui oblige les sociétés à produire des informations sur leurs impacts sociaux et environnementaux, sans obligation de résultat.

Entreprises. En 2024 entrera en application la directive européenne sur la publication
d’informations extra-financières relatives à la durabilité, dite « CSRD » (Corporate
Sustainability Reporting Directive). Elle impose aux entreprises d’évaluer leurs impacts sur
l’environnement et la société en suivant des standards définis par l’Union européenne (UE).
La directive inclut les impacts sur le climat, la biodiversité, l’eau et les ressources marines, et
l’économie circulaire.

Sur le plan social, elle concerne aussi les droits des travailleurs tout au long de la chaîne de
valeur. Cette directive a été largement saluée, tant par les gouvernements que par des
ONG. Cependant, ce consensus ne doit pas masquer les limites du texte.

D’une part, ces mesures n’imposent pas aux entreprises de réduire ou d’améliorer leurs
impacts, mais seulement de fournir une information fiable et standardisée sur ceux-ci.

D’autre part, les sciences de gestion ont souvent rappelé que l’obligation de reporting
n’entraîne pas nécessairement un comportement vertueux…

 

Des choix éclairés

Certes, ces données pourraient être précieuses pour l’action des ONG et d’autres acteurs
concernés. Mais pour influer directement sur l’action des entreprises, la directive cherche
avant tout à fournir aux investisseurs une information extrafinancière fiable et comparable qui
leur permettra de faire des choix éclairés et d’améliorer leurs propres impacts. La logique de
la directive est donc fondée sur l’idée – peu habituelle, il est vrai – que les investisseurs et les
actionnaires sont engagés en faveur de la durabilité, et qu’il leur manquait une information
crédible et normalisée pour décider.

Or, qu’est-ce qui garantit que les investisseurs ne privilégieront pas la rentabilité et seront
sensibles aux nouveaux reportings ? Et s’ils n’en tiennent pas compte, quel sera alors le
comportement des entreprises ? Forcées de mesurer et de publier des résultats qui laissent
indifférents leurs futurs actionnaires, elles se limiteront à une conformité minimale à leurs
obligations, en ménageant leur réputation vis-à-vis des ONG et du grand public.
Ce phénomène s’observe depuis longtemps dans le reporting financier. Un devoir majeur des
entreprises est leur contribution fiscale.

On sait, hélas, que le reporting du bénéfice imposable, même sincère et juste, n’a pas arrêté
les tentations d’optimisation fiscale… L’UE espère-t-elle que le reporting sur la durabilité
permettra aux dirigeants d’entreprise d’imposer à leurs actionnaires un nouvel arbitrage entre
rentabilité et durabilité ? C’est le pari (trop ?) risqué de la CSRD.

 

Des engagements de durabilité consentis

Mais ne doit-on pas inverser cette logique ? L’UE ne devrait-elle pas imposer à l’entreprise,
donc aux investisseurs, une responsabilité sociale et environnementale inhérente à leur
activité ? En découlerait alors des engagements de durabilité consentis, assignés aux
dirigeants, et le reporting qui en permet l’évaluation.

A l’instar de la loi Pacte française (Plan d’action pour la croissance et la transformation des
entreprises, de 2019), cette logique conduirait à réformer le droit des sociétés dans l’UE.
D’ailleurs, en 2020, le Parlement européen avait demandé à la Commission d’étudier une
directive sur la gouvernance d’entreprise durable ( Sustainable Corporate Governance ) qui
donnerait un cadre légal unifié aux engagements sociaux et environnementaux des entreprises.

On peut imaginer les difficultés d’un tel projet. Mais il ne faudrait pas que les efforts
consacrés à mettre en place des indicateurs de durabilité empêchent une réforme qui
engagerait les entreprises dans l’action et non dans le seul reporting.


Armand Hatchuel

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